Un visuel publicitaire marquant peut renforcer votre image... ou engager votre responsabilité.
Par Cyril Bedos et Marine Camuset, avocats Propriété intellectuelle – DDG Société d'avocats.
La création publicitaire au sens du support est plus que jamais aujourd'hui source de la valeur de l'entreprise. Avec des consommateurs de plus en plus sollicités et des medias fragmentés, interpeller, séduire et engager le public sur son produit ou service est un enjeu crucial. Qu'il s'agisse de jouer sur l'humour, l'authenticité, l'émotion, le développement durable, sur des codes rétro ou inspirés des réseaux sociaux, les agences et les annonceurs jouent avec la création pour émerger et se démarquer.
Les communications se doivent d'être originales, créatives, facteur de distinction et sont ainsi des assets à protéger pour les entreprises. L'image, le visuel, le storytelling, les formats audiovisuels ont une forte valeur qui convient de protéger.
Les juristes interviennent de plus en plus souvent désormais pour protéger cette valeur. Selon leur nature, les créations publicitaires peuvent être protégées par le droit d'auteur ou sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme économique.
Nous n'évoquerons ici que l'image, le visuel ou le script des films puisque la protection de la signature, du slogan ou accroche fait par ailleurs l'objet d'un autre article sur le site.
Au-delà de la dilution du message que cela peut générer, la reprise, la reproduction non autorisée, l'imitation d'une annonce ou d'un format audiovisuel publicitaire exposent donc à un risque de contrefaçon de droit d'auteur (I), et d'action fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire (II) ce qui rend indispensable la réalisation de recherches d'antériorité avant toute utilisation par une entreprise d'un visuel (III).
I. Le risque de contrefaçon de droit d'auteur d'un visuel ou d'un film publicitaire
Tous les types de visuels ou de films publicitaires ne peuvent pas faire l'objet d'une protection et donc d'une réclamation. Seuls sont protégés les visuels et films qui présentent un caractère original, c'est-à-dire qui reflète un choix libre et créatif de son auteur, traduisant l'empreinte de sa personnalité. Cette originalité peut résulter de la composition, du cadrage, des choix esthétiques, des couleurs, de la mise en scène ou encore de l'ambiance générale du visuel et/ou du film.
Lorsqu'une telle création est protégée, toute reproduction ou adaptation sans autorisation peut constituer un acte de contrefaçon.
Il est courant que les annonces publicitaires intègrent des illustrations ou des photographies publicitaires qui sont de véritables œuvres protégées, travail commandé auprès d'illustrateurs ou photographes de publicité.
Une typographie, une composition graphique intégrant la création peuvent aussi être suffisamment originales pour être éligibles à la protection des droits d'auteurs.
Ainsi, par exemple, la Cour d'appel de Paris a jugé que la charte graphique de la LPO était originale, en raison de choix spécifiques de mise en page, de couleurs et de composition traduisant l'empreinte de la personnalité de son auteur. La Cour d'appel a donc conclu à la contrefaçon de ce visuel par la Fédération des chasseurs par reproduction de « la combinaison des caractéristiques de cette affiche » (Cour d'appel de Paris du 2 décembre 2022).
Certains films publicitaires ont déjà fait l'objet de revendications sur le terrain du droit d'auteur par des producteurs et des réalisateurs à cause de la reprise d'un enchainement de plan, d'une scène et de personnages présents dans des œuvres cinématographiques. Le passage d'un genre à un autre n'est, rappelons le, pas un frein à ce que la reprise d'une œuvre et son transfert dans un univers publicitaire puissent constituer une contrefaçon.
Plus souvent, la similitude entre deux visuels de campagnes de communication fait l'objet d'une action en concurrence déloyale et parasitisme.
II. Le risque d'action fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire
Un annonceur peut engager sa responsabilité sur le fondement de la concurrence déloyale ou du parasitisme si sa campagne de communication évoque un visuel d'un tiers, concurrent ou non, dès lors que le tiers copié peut faire valoir la notoriété et/ou les investissements significatifs du visuel, de la campagne et/ou du film, ou si ceux-ci créent un risque de confusion avec ceux d'un concurrent. Ces agissements peuvent être sanctionnés sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.
L'action en parasitisme est la plus souvent opposée compte tenu du seul critère d'évocation et non de risque de confusion.
Elle suppose pour l'annonceur copié (i) de démontrer que sa campagne représente une valeur économique individualisée qui est le fruit d'investissements ou d'une notoriété largement reconnue et (ii) de démontrer la captation fautive de cette valeur par la marque « copieuse ».
(i) Les juridictions exigent une démonstration précise et concrète de cette valeur économique. Ainsi, ne peuvent être protégés les éléments relevant du fonds commun de la publicité ou de tendances générales d'un secteur.
Deux affaires illustrent cette rigueur :
- Dans une affaire opposant deux annonceurs du monde de la cosmétique, la Cour d'appel de Paris a rejeté les demandes pour parasitisme au motif que les visuels invoqués (oliveraie, femme touchant une branche d'olivier, zoom produit, etc.) étaient des images génériques, couramment utilisées dans le secteur des cosmétiques, sans preuve d'une notoriété ou d'une identité visuelle suffisamment individualisée (CA Paris, Pole 5, Ch. 1, 1er mars 2023, RG n° 21/05308) ;
- Dans une autre décision du secteur de la mode, la Cour a considéré que l'usage d'un Key Visuel de campagne d'une femme représentée en selfie dans un ascenseur avec un chien, prétendument copié, relevait de la représentation d'une pratique répandue sur les réseaux sociaux, sans notoriété démontrée pour l'annonceur qui se prétendait copié permettant de fonder une action en parasitisme (Cour d'appel de Paris, Pôle 5, 2ème Chambre, 12 mai 2023, n° 21/16270).
(ii) S'agissant de la captation fautive, pour que le parasitisme soit retenu, ce n'est pas l'idée ou le concept qui doit être copié, mais la reprise ou l'évocation de la mise en forme concrète.
Par exemple, le parasitisme peut être retenu si la mise en forme d'un visuel est très similaire, mais sera écarté si seule l'idée ou le concept est repris, sans imitation de sa concrétisation visuelle.
Une décision, parmi d'autres, illustre cette approche :
- SPA c/ La Manif Pour Tous (LMPT) : la Cour d'appel de Paris, confirmée par la Cour de cassation, a condamné LMPT pour avoir repris le concept et la mise en forme d'une campagne de la SPA. Les juges ont relevé une reprise fautive de la structure de l'affiche, du message (tweet adressé au Président) et du hashtag #JeVousFaisUneLettre, ce qui constituait une exploitation injustifiée d'une campagne distinctive et identifiable (CA Paris, pôle 5, ch. 2, 20 déc. 2019 confirmé par Cass. com., 16 févr. 2022).
III. Nécessité de réaliser des recherches d'antériorité sur les visuels
Au regard des risques juridiques liés à la contrefaçon ou à l'action fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire, il est vivement recommandé aux entreprises de faire réaliser des recherches d'antériorité sur les visuels publicitaires qu'elles envisagent d'exploiter.
Concrètement, les juristes d'agences et quelques cabinets d'avocats spécialisés opèrent tous les jours, sur la base de recherche par mots clés souvent délicats à déterminer, des analyses sur les projets de campagnes afin de confronter les projets aux créations déjà diffusées dans le secteur concerné.
Il conviendra d'analyser le thème de l'annonce et la forme de son expression en étudiant la structure du visuel, sa mise en forme et direction artistique, le biais de l'expression et sa possible originalité par rapport à ce que les résultats des piges réalisées ont fait sortir comme antériorités.
Pour les projets de films, au-delà de l'analyse identique aux visuels, s'ajoutent celles du script/scenario, et de l'enchainement des scènes.
Nous ne saurions que conseiller à tous les acteurs du marché de bien veiller à réaliser ces recherches préalables. Ce travail préventif permet d'écarter ou de modifier un projet de visuel ou de film envisagé et ainsi éviter des litiges coûteux et sécuriser la future campagne, voire le cas échéant, documenter son travail lors de la création pour démontrer ses diligences en cas de contentieux.